Radiographie des gangs : la cohérence du diagnostic de Dimitri Hérard à la lumière des propos de Michel Soukar

 

Radiographie des gangs : la cohérence du diagnostic de Dimitri Hérard à la lumière des propos de Michel Soukar


La question de la violence des gangs en Haïti, devenue l’un des symptômes les plus visibles de la crise multidimensionnelle que traverse le pays, a été abordée par plusieurs figures publiques. Parmi elles, Dimitri Hérard, ancien responsable de l’Unité de sécurité générale du Palais national (USGPN), a livré une radiographie percutante de ce phénomène, que d’aucuns jugent choquante mais lucide. À cette analyse s’ajoute la voix de l’écrivain et intellectuel Michel Soukar, dont les propos viennent renforcer, nuancer ou contextualiser certains aspects de cette radiographie.




Une cartographie claire et assumée

Dimitri Hérard, dans ses déclarations et prises de position, a dressé un tableau sans détour du paysage gangstérisé haïtien. Il ne s'agit pas seulement d'une énumération des groupes armés ou des territoires sous leur contrôle, mais d'une tentative de compréhension systémique. Pour lui, les gangs ne sont pas des entités isolées, mais des rouages d’un mécanisme plus vaste, imbriqué dans la politique, l’économie et parfois même les forces de l’ordre. Cette approche révèle une certaine cohérence analytique : Hérard ne regarde pas les gangs comme des monstres sociaux spontanés, mais comme des produits d’un système défaillant, sinon complice.


Une responsabilité diffuse mais bien ancrée


Ce qui rend la radiographie de Dimitri Hérard particulièrement percutante, c’est qu’il soulève la responsabilité partagée entre élites politiques, économiques et policières. Il met à nu un réseau de connivences, où des membres de l’establishment ont, à différents moments, armé ou financé ces groupes pour des intérêts personnels ou stratégiques. Cela rejoint une idée souvent exprimée par Michel Soukar : la violence n’est pas une anomalie en Haïti, mais une méthode de gouvernance.

 Dans plusieurs interventions publiques, Soukar a insisté sur la dimension historique de la violence politique en Haïti. Selon lui, les gangs d’aujourd’hui sont les héritiers d’une tradition de milices utilisées par les pouvoirs en place pour asseoir leur autorité ou éliminer les opposants. En ce sens, les propos de Soukar offrent un éclairage complémentaire à l’analyse de Hérard : là où ce dernier fait un constat opérationnel et actuel, Soukar propose une mise en contexte historique, qui donne à la radiographie une profondeur temporelle.


L’illusion de la fragmentation


Hérard semble aussi vouloir déconstruire l’idée selon laquelle les gangs agissent de manière autonome. À travers ses révélations et ses descriptions, on comprend que derrière la façade chaotique se cache une certaine logique d’organisation, de coordination, voire de centralisation. Michel Soukar évoque lui aussi la transformation de ces groupes : d’abord instrumentalisés, ils deviennent aujourd’hui des acteurs politiques à part entière. Il ne s’agit plus seulement de bras armés, mais de forces capables de négocier, d’imposer et parfois même de gouverner.


Convergence des discours : un miroir pour la société

 Là où Dimitri Hérard expose les connexions, Michel Soukar en déduit les implications. L’un parle des faits, l’autre de leur signification. Ensemble, leurs discours dessinent un panorama cohérent : celui d’un État affaibli, où l'autorité s’est déplacée, où la loi est éclipsée par les rapports de force, et où la peur devient un outil de gestion du territoire.


Ce croisement de perspectives permet non seulement de mieux comprendre le phénomène des gangs, mais aussi de poser la question cruciale : à qui profite réellement ce désordre organisé ? Tant Hérard que Soukar invitent, chacun à leur manière, à ne pas se contenter d’une lecture simpliste ou sensationnaliste. Ils nous incitent à voir les structures derrière la violence, les intérêts derrière les chaos, et surtout, les responsabilités derrière l’impunité.


Le miroir tendu par Michel Soukar

Depuis plusieurs années, Michel Soukar ne cesse de dénoncer le rôle des élites haïtiennes dans la montée en puissance des gangs. Pour lui, ces derniers ne sont pas le fruit d’un désordre spontané, mais le résultat d’une stratégie cynique d’instrumentalisation du chaos.

Dans une récente entrevue accordée à Radio Métropole, l’historien a affirmé :

« Les élites politiques et économiques ont nourri les gangs comme un outil de contrôle social, électoral et même économique. Elles ont créé une machine qui aujourd’hui les dépasse. »

En ce sens, les révélations autour de Dimitri Hérard n’apportent pas seulement des preuves : elles donnent une voix, venue de l’intérieur, à la thèse de Soukar. L’un comme l’autre désignent un système où l’État s’efface, remplacé par un pouvoir de la peur, financé par l’économie illicite, et soutenu – parfois inconsciemment – par ceux-là mêmes qui prétendent vouloir sauver le pays.



Conclusion

La crise sécuritaire en Haïti ne peut être résolue sans une compréhension profonde de ses racines. Le témoignage indirect de Dimitri Hérard, mis en parallèle avec les analyses tranchantes de Michel Soukar, offre cette compréhension. Reste à savoir si cette vérité dérangeante suffira à provoquer le sursaut attendu.


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